François Bouillon
Instruction ou Methode facile pour apprendre le plain-chant
Paris, Par Robert Ballard, 1654

Pour citer cette page :
Xavier Bisaro, “Instruction ou Methode facile pour apprendre le plain-chant (1654)”, Cantus Scholarum, <https://www.cantus-scholarum.univ-tours.fr/ressources/sources/methodes-faciles-de-plain-chant/instruction-1654/> [publié le 29 septembre 2015], consulté le 25 avril 2024.

Une double utilité

François Bouillon (1607/08-1669) était un chanoine régulier génovéfain. Né à Cherbourg, Bouillon fit sa profession en 1636. Par la suite, ses seules fonctions connues sont celles de prieur et de sous-prieur de la Madeleine de Châteaudun1Nicolas Petit, Prosopographie génovéfaine (Matériaux pour l’histoire publiés par l’École nationale des chartes, 6), Paris, École nationale des chartes, 2008, p. 69-70. Si la Relation de ce qui s’est passé en la Congrégation des chanoines réguliers de France pour l’année 1669 indique que Bouillon est décédé le 31 janvier de cette année-là à Châteaudun, les registres de la paroisse de La Madeleine ne contiennent pas l’acte d’inhumation correspondant.. Si des ajouts manuscrits sur les exemplaires de l’Instruction… pour apprendre le plain-chant rendent son attribution plausible, il est délicat de confondre Bouillon – ainsi que le font les notices d’autorité bibliographique – avec l’auteur de la traduction en français de l’Histoire de la vie et du purgatoire de S. Patrice (1643) de Juan Pérez de Montalbán ou celle du Politique chrestien (1643) de Diego Nisseno. En effet, alors que le traducteur de ces ouvrages est bien dénommé François Bouillon, leurs pages de titre le rattachent à “l’Ordre de sainct François”, de qui incite à penser qu’il s’agit d’un homonyme.

Cette Instruction pourrait avoir obéi à une double logique éditoriale. D’une part, elle est publiée anonymement avec “Permission des Superieurs” par un religieux n’ayant pas rédigé d’autres ouvrages musicaux. L’Instruction répondrait par conséquent aux besoins propres d’un ordre, ce que confirme l’absence d’épître dédicatoire. Par ailleurs, l’Instruction paraît sous couvert du privilège de Robert Ballard qui, de ce fait, conforte sa récente entrée sur le marché des méthodes de plain-chant. Après les Reigles rudimentaires de Denis Macé en 1652, l’Instruction de Bouillon représente le versant érudit de l’enseignement du chant ecclésiastique et complète l’offre éditoriale de Ballard en la matière. La relative proximité des rééditions de ces deux ouvrages (1664 pour Macé, 1660 pour Bouillon2Les rares exemplaires de cette deuxième édition sont actuellement conservés à la Bibliothèque Sainte-Geneviève. Par ailleurs, cette même bibliothèque détient un manuscrit préparé en vue d’une troisième édition de l’Instruction, finalement jamais publiée.) renforce l’hypothèse d’une recherche de complémentarité entre ces publications de la part de Ballard.

Entre conservation et réformisme

Dans une longue adresse au lecteur, Bouillon dévoile qu’il a été en charge de l’enseignement du plain-chant vraisemblablement au sein de sa congrégation : l’Instruction a donc été rédigée (et peut-être diffusée en manuscrit) dans cet environnement. Ce manuel est cependant plus prolixe que de nombreuses autres méthodes “faciles” puisqu’il aborde des points spécifiquement musicaux3Cf. sa définition de la deuxième acception du terme ton ou l’allusion aux différentes qualités d’intervalles ; François Bouillon, Instruction ou Methode facile pour apprendre le plain-chant, Paris, Par Robert Ballard, 1654, p. 15 et 17.. Cette orientation incite Bouillon à ménager en conclusion de son ouvrage un Sommaire concentrant l’essentiel des connaissances nécessaires à un pratique élémentaire du plain-chant4Il se pourrait que la personnalité de Bouillon, dont le goût pour la fabrication d’instruments de musique est attesté, ait contribué à cela. Cf. N. Petit, op. cit. :

Ayant entremeslé dans ce petit ouvrage, les choses qui concernent la simple practique du Plain-Chant, avec celles qui touchent la Theorie & Speculation, l’ordre des choses y [sic] traitées, selon nostre dessein, le requérant de la sorte : j’ay trouvé assez à propos de mettre icy, pour la commodité des Apprentis, un bref ordre de ce qui est absolument necessaire pour apprendre simplement à chanter ; afin de les délivrer de la peine que leur pourroit apporter la difficulté de les trier d’avec les choses de speculation ; avec un renvoy des choses que j’estime assez clairement & nettement expliquées en leur lieu5Bouillon, op. cit., p. 127..

La vocation originelle de son Instruction peut expliquer la densité de son contenu : pensée pour des chanoines d’un ordre réputé pour sa solidité intellectuelle6Cf. Isabelle Brian, Messieurs de Sainte-Geneviève : religieux et curés, de la Contre-Réforme à la Révolution, Paris, Les Éditions du Cerf, 2001., l’Instruction devait intéresser ses premiers utilisateurs au-delà des aspects du chant les plus prosaïques. À cet égard, le ton employé par Bouillon s’avère pareillement adapté à un lectorat ecclésiastique “élevé” dont l’auteur connaît les cordes sensibles. Ainsi, dès la fin de l’adresse au lecteur, Bouillon amorce le sujet de l’allègement des syllabes faibles dans le chant tout en évitant de provoquer une controverse qui, à la même époque, agitait les communautés mauristes7Cécile Davy-Rigaux, « Le Clerc et Jumilhac et la question de la “durée ou mesure des sons” dans le plain-chant », Études grégoriennes, XXI (2003), p. 105-131.. Destinant prioritairement l’Instruction à ses confrères génovéfains qui, selon des témoignages du XVIIIe siècle, maintenaient une stricte égalité dans leur chant8Lettre de l’abbé Lebeuf à Claude Prévost, 12 novembre 1728, dans M. Quantin, A. Cherest, Lettres de l’abbé Lebeuf, Auxerre, G. Perriquet, 1867, t. II, p. 61., Bouillon est contraint à la circonspection :

Outre que l’observation des brefves, monosyllabes, &c. semblant appartenir plustost à l’Art de Grammaire, qu’au Plain-chant, quoy qu’il soit tres à propos de l’observer là où elle ne prejudicie audit Chant ; neantmoins où elle le rendroit maussade, en diminuant de sa douceur & bonne grace, je n’estime pas qu’on se doive gesner pour s’y rendre trop rigoureux9Bouillon, op. cit., “Au lecteur”, non paginé..

Par la suite, la méthode exposée par Bouillon dans le premier chapitre de l’Instruction est pour le moins tournée vers le passé. La Gamme à trois hexacordes provoque d’emblée de longs développements sur leur conjonction, sur différentes manières de la présenter, sur les muances… L’intérêt de Bouillon pour ces questions est tel que l’ouvrage ne comprend, dans sa première partie, aucun des exercices d’intonation habituellement présents dans les méthodes “faciles” pour mieux se concentrer sur les arcanes de la théorie hexacordale. De surcroît, Bouillon est tellement acquis à la solmisation que cette dernière imprègne jusqu’à sa description des toniques et des dominantes du 7e ton (ut-sol posé sur G-D) et du 8e ton (ut-fa posé sur GC).

Malgré cette option en relatif décalage avec la généralisation de la gamme double ou simple dans les manuels de plain-chant du milieu du XVIIe siècle10Xavier Bisaro, “Une Tradition en chantier : les méthodes de plain-chant « nouvelles et faciles » sous l’Ancien Régime”, Acta musicologica, LXXXVII/1 (2015), p. 1-29., Bouillon se montre partisan d’une correction des irrégularités qu’il pense déceler dans le répertoire du chant ecclésiastique. C’est à ce titre qu’il suggère la réécriture des antiennes du 8e ton associées au ton pérégrin pour la psalmodie, de manière à ce que celles-ci prennent l’allure d’une antienne du 1er ton (exemple 1).

Bouillon-InExitu1 Bouillon-InExitu2ex. 1 – Bouillon, Instruction… (p. 95 [version originale d’une antienne dans le 8e ton] et 96 [réécriture de l’antienne par l’auteur])

L’intérêt insistant de François Bouillon pour le “fa feint” est à l’origine d’autres propositions de recomposition mélodique. En plus des situations où l’abaissement du si s’impose en fonction du contexte mélodique, il considère devoir réécrire les passages où cette modulation n’est pas envisageable et où persiste une proximité jugée excessive entre le fa et le si naturel (exemple 2).

Bouillon-mi_fa

… Ou enfin pour mieux dire, la pluspart de ces exemples (aussi bien que beaucoup d’autres choses du Plain chant) ont besoin (à mon advis) de correction, qui se peut faire en cette sorte :

Bouillon-mi_fa-corrections


 

ex. 2 – Bouillon, Instruction… (p. 36-37)

Il faut enfin remarquer que Bouillon est le premier à introduire une représentation circulaire de la Gamme (exemple 3), initiative ayant peut-être inspiré les réviseurs de la deuxième édition de la Nouvelle methode publiée chez Desprez (1683).

Bouillon-cercleex. 3 – Bouillon, Instruction… (p. 11)

Ouverture sur la pratique

Le ton verbeux de l’Instruction n’empêche pas l’affleurement d’informations plus concrètes sur l’enseignement prôné par Bouillon. D’une part, si l’auteur ne se hasarde pas à émettre un avis général sur l’inégalité des valeurs de durée dans le plain-chant, il préconise d’accentuer la psalmodie en fonction du texte (exemples 4 et 5), et ce en dépit d’une notation dénuée de semi-brèves (hormis pour le climacus).

Bouillon-prosodie

ex. 4 – Bouillon, Instruction… (p. 59)

Bouillon-prosodie2

ex. 5 – Bouillon, Instruction… (p. 77)

Toutefois, dans le prolongement de la prudence de son avis au lecteur, Bouillon s’empare de ce sujet avec modération. C’est par le biais d’une observation délaissant en apparence le chant qu’il souligne l’importance de la dynamisation du débit par l’accent :

il faut sçavoir qu’en fait de lecture, pour faire une belle prononciation, il faut toûjours tarder davantage sur l’une des syllabes de chaque diction, que sur les autres de la mesme diction : Et c’est cette raison, ou maniere de prononcer qu’on nomme Accent11Bouillon, op. cit., p. 131. […]

D’autre part, le résumé des principales étapes de l’initiation au chant (le Sommaire) délivre des formules d’intonation des intervalles, passage obligé des méthodes de plain-chant (exemple 6). Moins nombreux que chez d’autres auteurs, les exercices de Bouillon dévoilent quand même son recours à cette technique pédagogique.

Boullon-exercicesex. 6 – Bouillon, Instruction…(p. 128)

En définitive, l’Instruction de François Bouillon se présente comme une concrétisation savante et plutôt conservatrice de l’intention de favoriser, par le truchement de méthodes “faciles”, l’apprentissage du chant ecclésiastique.

(X. Bisaro, octobre 2015)

Notes   [ + ]

1. Nicolas Petit, Prosopographie génovéfaine (Matériaux pour l'histoire publiés par l'École nationale des chartes, 6), Paris, École nationale des chartes, 2008, p. 69-70. Si la Relation de ce qui s'est passé en la Congrégation des chanoines réguliers de France pour l'année 1669 indique que Bouillon est décédé le 31 janvier de cette année-là à Châteaudun, les registres de la paroisse de La Madeleine ne contiennent pas l'acte d'inhumation correspondant.
2. Les rares exemplaires de cette deuxième édition sont actuellement conservés à la Bibliothèque Sainte-Geneviève. Par ailleurs, cette même bibliothèque détient un manuscrit préparé en vue d'une troisième édition de l'Instruction, finalement jamais publiée.
3. Cf. sa définition de la deuxième acception du terme ton ou l'allusion aux différentes qualités d'intervalles ; François Bouillon, Instruction ou Methode facile pour apprendre le plain-chant, Paris, Par Robert Ballard, 1654, p. 15 et 17.
4. Il se pourrait que la personnalité de Bouillon, dont le goût pour la fabrication d'instruments de musique est attesté, ait contribué à cela. Cf. N. Petit, op. cit.
5. Bouillon, op. cit., p. 127.
6. Cf. Isabelle Brian, Messieurs de Sainte-Geneviève : religieux et curés, de la Contre-Réforme à la Révolution, Paris, Les Éditions du Cerf, 2001.
7. Cécile Davy-Rigaux, « Le Clerc et Jumilhac et la question de la "durée ou mesure des sons" dans le plain-chant », Études grégoriennes, XXI (2003), p. 105-131.
8. Lettre de l'abbé Lebeuf à Claude Prévost, 12 novembre 1728, dans M. Quantin, A. Cherest, Lettres de l'abbé Lebeuf, Auxerre, G. Perriquet, 1867, t. II, p. 61.
9. Bouillon, op. cit., "Au lecteur", non paginé.
10. Xavier Bisaro, "Une Tradition en chantier : les méthodes de plain-chant « nouvelles et faciles » sous l’Ancien Régime", Acta musicologica, LXXXVII/1 (2015), p. 1-29.
11. Bouillon, op. cit., p. 131.
Au lecteur  
I – Des Principes du Plain-Chant p. 1
II – Pratique de ce que dessus p. 20
III – Des Tons p. 47
IV – Chapitre… contenant les demonstrations de Chants dont on ne voit ou peu ou point les nottes p. 107
Sommaire de ce qui est precisément necessaire à la seule & simple practique du Plain-Chant, extraict de cet oeuvre pour la commodité des Apprentis p. 127
Table des matieres  

 

  • sources

[François Bouillon], Instruction ou Methode facile pour apprendre le plain-chant, Paris, Par Robert Ballard, 1654 (2ème éd. 1660).

François Bouillon, Instruction ou Methode pour apprendre le plain-chant [manuscrit en vue de la 3ème édition], Paris, Bibliothèque Sainte-Geneviève, ms. 2310.

  • bibliographie

Isabelle Brian, Messieurs de Sainte-Geneviève : religieux et curés, de la Contre-Réforme à la Révolution, Paris, Les Éditions du Cerf, 2001.

Nicolas Petit, Prosopographie génovéfaine (Matériaux pour l’histoire publiés par l’École nationale des chartes, 6), Paris, École nationale des chartes, 2008.

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